« Annabelle Verhaeghe vit à Marseille et porte un travail pluridisciplinaire qui tend à faire sortir le texte du livre.
Consciente de l'apocalypse qui nous guette, elle écrit et dit des textes francs et sans fard qu'elle enchante au moyen de réalisations vidéo malicieuses.
Montages bricolés maison (usages de jouets, d'objets du quotidien, bruitages) dont l'apparente simplicité met en lumière une ingéniosité créative, ils invitent au décalage, à l’expérience de la tension entre texte et montage. »
Présentation d’Yves Arcaix pour la Maison de la Poésie de Nantes, 2019
Le poème se porte bien, texte et série photographique en cours, 2022
Démarche artistique
Commençons par le commencement.
Je peignais en autodidacte, et j'ai voulu étudier le théâtre et le cinéma pour forger mes sens du corps et de l'espace (et faire des films). J’ai tour à tour été dirigée et mis en scène, puis je me suis plus particulièrement intéressée au travail de la voix et de la parole, à comprendre comment le langage fonctionne. C'est ainsi que j’ai découvert la poésie contemporaine et commencé à écrire. Assez vite, le texte a pris la place d'une sorte de liant permettant des émulsions nouvelles. C'était logique, comme une suite de Fibonacci : 1 plus 1 fait 2, puis 3, puis 5.
J'essaie de déceler l'étrange, l'incommunicable, et de le traduire. Je cherche ce qui fait poésie, c’est ce qui fait — un peu trop — sens. C'est exponentiel, comme la reproduction des lapins et mon portfolio.
Mes œuvres sont souvent protéiformes : une musique peut devenir film, un texte va vers l’oral ou la musicalité, puis devient une animation peinte en stop-motion, une série photographique, ou bien donne corps à une sculpture que j’activerai en performance. Mes projets avancent également de manière simultanée, petit à petit, sur des temps longs, comme un tissage auquel sans cesse je reviens, et auquel de nouvelles fibres et morceaux s’ajoutent pour créer leur propre île, leurs propres règles.
Sahasrara, installation et préparation à la performance, résidence à La Factorie, Maison de la poésie de Normandie, Léry, mai 2021
Mon travail tourne autour de la question de ce qui est différent et veut se faire comprendre et vivre, et il se reconnait à travers certaines tendances maniaques. Déjà, je travaille beaucoup, en performance, sur le fait de cacher, transformer mon corps, ou bien habiter, faire parler un autre corps. J’aime façonner l’incarnation en créant des structures-costumes — une maison, un char-renard, un fantôme de yéti. Que dis-je, j’aime : j’adore construire des volumes, jouer avec l'espace, créer la surprise, seul le problème de stockage me retient de le faire plus souvent (la population de lapins dans mon atelier a atteint le seuil critique de l'industrie alimentaire).
Aussi, j’utilise la friction de l’inattendu, le décalage de certains mots ou l’absurde de situations méta-fictives pour déplacer la spectatrice ou le lecteur vers une zone comique, histoire de pouvoir explorer des sujets ou des sentiments pas forcément fun. Comme, par exemple : le rapport à la solitude, à la place de la nature au sein de l’anthropocène (et non l'inverse), à la perte de l’enfance, à la temporalité ou à la société actuelle.
C’est sans doute pour ça que mes projets utilisent la poésie et la (méta)fiction pour mettre en jeu l’oralité : je pense que l'oralité est l’endroit d’un mouvement possible. En contrepoint, mes peintures ou photographies (hors séries), médiums qui par essence durent dans le temps, restent figés, montrent des univers très silencieux, des paysages vides, des catastrophes ou instants fantastiques, des personnes qui dorment ou pensent.
En même temps, mon travail est un peu comme la langue française : il y a beaucoup de règles, et il y a beaucoup d’exceptions.